Archivo de marzo 2010

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5 mars: vernissage (en pensée) de chair & d’esprit

Le parti pris d’accrochage

par l’Eric l’Ourson

conservateur d’Etat

rafistoleur agréé d’ours en peluche


Le parti pris choisi pour ordonner et exposer les dessins italiens de Grenoble est un montage de solutions diverses reposant sur le principe que chaque dessin répond à un autre dans une sorte de dialogue qui ne serait ni stricto sensu chronologique, ni à proprement parler par école régionale (l’art italien recoupe les divisions politiques de l’époque), ni strictement formaliste, ni foncièrement iconographique, ni complètement technique, ni encore tout à fait processuel, mais qui serait un peu de tout ça à la fois. C’est ce que l’on pourrait appeler « la loi du bon voisinage » pour reprendre le mot d’Aby Warburg au sujet de l’organisation de sa bibliothèque, un dessin en appelant un autre, le tout fonctionnant dans une confrontation graduelle et progressive (c’est-à-dire que cette progression se fait par à-coup chronologique en partant du dessin le plus ancien pour arriver au dessin le plus récent) avec parfois des points d’arrêt ou de transition, quelquefois des accélérations ou a contrario des décélérations chronologiques.

Douze dossiers traversent cette progression dans le temps. Ce sont eux qui structurent cet assemblage. Ils regroupent des dessins par affinités iconographiques, par procédés de recherches, par type d’études, par objets étudiés.

I – Figures de saint Jérôme

La figure de saint Jérôme connaît en Italie à la fin du XVe et au début du XVIe siècle une fortune considérable. Deux types iconographiques dominent sa représentation : le docteur de l’Eglise, traducteur de la Bible en latin, montré sous les traits d’un cardinal lisant dans son studiolo ou dans un ermitage et le pénitent au désert. Le dessin attribué à Montagna est une représentation proche du premier type : le saint n’est cependant pas figuré en cardinal mais en moine anachorète de la congrégation des Hiéronymites. Le dessin donné à Campagnola et celui attribué à Butinone/Zenale le montrent en pénitent. Dans ce dernier dessin, saint Jérôme est associé dans un même espace illusionniste avec la figure de saint François recevant les stigmates. Leur juxtaposition permet au dévot (agissant comme spectateur-lecteur du dispositif) de construire une image de méditation établie sous la forme d’un itinéraire mental partant d’une forme d’identification intense au Christ (saint Jérôme en meurtrissant sa chair s’efforce de suivre l’exemple de Jésus) pour aboutir à une forme sublime de fusion avec le Christ (le Christ s’incorpore en saint François dans les signes mêmes de la crucifixion en recevant les stigmates).

II – « Garçons » d’atelier

Représenter une histoire en peinture revient à concevoir un dispositif iconographique à partir de figures prédéterminées. Le peintre les agence dans l’espace afin d’exprimer au mieux un récit. Ce travail s’effectue à travers le dessin. Les « premières pensées » se font de manière abstraite : les traits y sont imprécis et se matérialisent sans modèle extérieur. Lorsque la disposition convient au dessinateur, il éprouve alors la nécessité de faire poser devant ses yeux des figures. Un atelier de peinture est composé de plusieurs individus, le maître, ses aides et assistants, les « garzoni » chargés de broyer les pigments, de préparer les supports (bois ou toile), voire pour certains plus expérimentés de peindre. Ils peuvent aussi servir de modèles. Le dessin attribué à Maso da San Friano montre ainsi trois « garçons » d’atelier disposés selon la formule iconographique du Mariage de la Vierge : le garçon du centre deviendra le grand prêtre, celui de droite, la Vierge et celui de gauche saint Joseph. Le dessin donné à Chimenti étudie deux figures de jeunes garçons pour une Adoration des bergers tandis que le dessin de Brandimarte dispose deux jeunes hommes tenant un objet cylindrique qui, dans le tableau final, deviendra une croix.

III – Figures de bord

Les figures de bord occupent dans l’agencement de l’histoire peinte une place de médiation. Elles sont situées au premier plan dans les marges latérales de la composition et jouent le plus souvent un rôle d’indication : elles montrent ce qu’il y a à voir. C’est le cas du premier dessin de Procaccini : la figure en pied désigne une action. Transposée dans le tableau final, elle correspond à l’ordonnateur du martyre de sainte Agnès : l’index pointé indique et tout à la fois est un signe de commandement. Elles peuvent aussi pour certaines d’entre elles énoncer par leurs regards, leur posture, leurs gestes moins ce que le spectateur doit regarder que la manière dont il doit regarder : ce sont des « figures pathétiques d’encadrement ».  Le deuxième dessin de Procaccini montre ainsi une figure de saint Pierre dans une attitude de vénération : il est orienté vers l’Enfant Jésus dans le tableau final. C’est également le cas pour la feuille de Farinati : l’homme drapé devient dans l’œuvre peinte un saint Joseph tourné vers le petit Jésus venant de naître.

IV – Figures du décor

Le dessin ne prépare pas seulement des peintures sur chevalet, des tableaux d’autel ou des fresques. Il sert aussi à concevoir des ensembles architecturés ou des éléments de décor. Le dessin attribué à Battista del Moro étudie ainsi le programme iconographique d’une chapelle comprenant le Calvaire et la Mise au tombeau organisé autour d’un tableau d’autel non encore figuré. Le dessin donné à un artiste de l’entourage de Friedrich Sustris correspond à une étude d’un volet d’orgue décoré sur sa face interne d’anges musiciens. Un dessin passé récemment en vente prépare l’autre volet. Le statut de la feuille de Boscoli est particulier : il s’agit d’une copie de la fin du XVIIe siècle à portée documentaire d’une fresque du peintre florentin Domenico Ghirlandaio réalisée entre 1480 et 1485 dans la chapelle Sassetti de l’église de la Trinita. Boscoli intègre dans sa copie la partie sommitale du cadre du retable pénétrant dans l’espace peint.

V – Figures de l’étude en cours

Dessiner est un acte d’étude consistant à trouver la bonne forme et la bonne disposition. Ce travail s’effectue dans la répétition du trait, la reprise des motifs, la juxtaposition et la variation des éléments étudiés : la forme se cherche dans un processus continu. Le dessin de Dal Friso, présenté en double face, se caractérise par la répétition « évolutive » et « graduelle » d’une figure, vraisemblablement porteuse d’un contenu allégorique. Cette figure est « variée » à partir d’une matrice située au centre du papier sur toute la surface tant sur le recto que sur le verso. C’est ce qu’on appelle une « variante progressive ». Le dessin attribué à Salvestrini est une feuille d’études : une forme y est biffée, une figure dessinée méticuleusement à la sanguine se juxtapose à des notations rapides à la plume sans lien de contenu apparent et dans un sens de lecture à chaque fois différent. Les deux dessins de Palma étudiant une Descente du Christ aux Limbes montrent de nombreuses reprises avec des variantes de figures de patriarches placées dans la marge supérieure des feuilles.

VI – Figures de tête

Après les « premières pensées », les études de composition et les études de figure, les études de tête occupent dans le processus de mise en place des formes un rôle important. C’est le moment où le dessinateur étudie avec acuité l’expression des visages (voir le dessin de Guido Reni dans la salle 6) et leur pose exacte. Ces dessins constituent bien souvent des outils de travail : ils peuvent être placés à proximité directe des surfaces à peindre. C’est sûrement le cas de la feuille de Barocci préparant le profil perdu de saint Joseph en train d’ouvrir la porte aux bergers dans un tableau représentant la Nativité (Madrid, Prado). Les deux têtes de Fra Semplice da Verona sont aussi dessinées aux deux crayons, sanguine pour les chairs, pierre noire pour les cheveux et les vêtements et montrent pour l’une, une expression de vénération et pour l’autre, une attitude de concentration (il s’agit certainement d’un « garçon d’atelier » posant dans l’attitude d’un ange assis sur un nuage).

VII – Figures multiples du dispositif iconographique

« La nouveauté dans la peinture ne consiste pas dans un sujet encore non vu, mais dans la bonne et nouvelle disposition et expression, et ainsi de commun et de vieux, le sujet devient singulier et neuf. » Cette sentence du peintre Nicolas Poussin montre combien l’originalité ne réside pas dans l’invention de nouveaux sujets mais dans le travail d’ordonnancement d’un sujet iconographique connu. Les deux dessins de Filippo Bellini et d’Andrea Semino proposent ainsi pour la même historia – l’Adoration des Mages – un dispositif iconographique différent. C’est tout le talent du dessinateur-ordonnateur ou devrait-on dire metteur en scène (au sens contemporain du terme) de pouvoir varier une disposition à partir d’un même sujet.

VIII – Figures de femme (sainte et profane)

La sainteté prend les traits de la Madeleine repentante et de sainte Thérèse d’Avila écrivant sous la dictée de l’ange ; le commun, d’une jeune femme est en train de mettre ses bas. L’insertion de cette action toute profane fonctionne à l’image d’un dialogue. Il est de nature technico-stylistique (pierre noire et sanguine), dispositionnel (même pose), figural (même type féminin) et dimensionnel (même format) même si l’ordre de la divergence domine (tant thématique que chronologique). C’est dans cette dissemblance ténue que se lit la force de l’association : l’un et l’autre dessin tout en étant des objets singuliers échangent leur propre différence. C’est en fin de compte comme si le geste de la jeune femme dans le dessin de Zuccaro devenait sacré et comme si la Madeleine (dessin de Giovanni da San Giovanni) retrouvait dans l’acte de lecture qu’elle accomplit une trace de sa vie profane antérieure enfouie et annihilée dans son acte de piété.

IX – Figures du modèle

Certaines études de figure peuvent avoir des fonctions multiples : elles sont dessinées dans un but et sont utilisées dans un autre. Le genre de l’académie rentre dans ces caractéristiques. Le dessin du Cavalier d’Arpino a ainsi sûrement été dessiné à des fins pédagogiques au sein même de son atelier : il sert de modèle pour ses élèves. Il aurait pu par la suite être recyclé pour un dispositif iconographique tel celui de Caïn venant de tuer son frère Abel. Il en est certainement de même pour la figure dessinée par Cesi, réalisée comme le dessin d’Arpino devant le modèle et selon les mêmes signes distinctifs (l’attention portée aux volumes, aux contrastes d’ombre et de lumière structurant les formes, notamment les plis du drapé) et qui par la suite a pu être transformée en figure de saint Joseph pour une Nativité.

X – Figures d’angle

Les dessins de Guercino, Canuti et de Cortese ont la particularité d’étudier (ou de copier à des fins d’étude) des figures destinées à être insérées dans des pendentifs de coupoles (Canuti et Cortese) et sur des coupoles (Guerchin). L’un deviendra un ange sans ailes, l’autre une figure allégorique et le dernier pourra être utilisé dans un tout autre contexte. Dans ce délicat travail de projection, il est souvent difficile d’anticiper les formes à venir surtout lorsque celles-ci sont vues d’en bas. Canuti en tenant compte de l’emplacement réel du spectateur accentue ainsi tellement le raccourci de sa figure qu’elle en devient presque difforme. Dans la fresque finale, le point de vue est corrigé et la forme de la figure retrouve ses proportions.

XI – Figures du tableau à venir

Les dessins de Cerano, de Francesco Cairo, de l’entourage de Carlo Maratti, d’Alessandro Gherardini et d’Ercole Procaccini préparent des tableaux d’autel. Pour deux d’entre eux, les formes du tableau à venir sont déjà établies (cintré à oreilles pour celui de Cerano, cintré pour celui de Gherardini) alors même qu’ils sont tracés de manière sommaire. Seul à cette heure le dessin de Francesco Cairo a trouvé un correspondant pictural : il prépare en effet un tableau peint à l’origine pour le maître-autel de l’église Santa Caterina di Brera à Milan aux alentours des années 1641-1645.

XII – Figures du guerrier

Trois dessins ont la particularité d’étudier des figures de guerriers. Deux d’entre eux appartiennent à d’importants ensembles préparatoires. Le dessin de Salvator Rosa est ainsi l’une des cinquante feuilles répertoriées en rapport avec une peinture de grand format représentant une Bataille héroïque. Il prépare deux cavaliers en train de se battre. Mais si dans le tableau, ces deux figures forment un groupe soudé dans l’action, dans le dessin, Rosa les a volontairement isolées. Cette séparation dans l’espace est tout simplement un fait d’étude. C’est la pose qui intéresse Rosa, non la jonction des figures entre elles. Le dessin de Gaulli est l’une des treize études préparant une gravure et par la suite un tableau représentant la Querelle d’Achille et Agamemnon. Les deux héros sont sur le point de se battre lorsque Minerve apparaît dans le ciel pour mettre un terme au conflit.

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2 mars: exposition De chair & d’esprit Dessins italiens du musée de Grenoble




Autor/Auteur

DIEGO VECCHIO, Buenos Aires, 1969. Reside en Paris desde 1992.

Publicó "Historia calamitatum" (Buenos Aires, Paradiso, 2000), "Egocidio: Macedonio Fernández y la liquidación del yo" (Rosario, Beatriz Viterbo, 2003), "Microbios" (Rosario, Beatriz Viterbo, 2006) y "Osos" (Rosario, Beatriz Viterbo, 2010).

Contacto: dievecchio@gmail.com

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